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Interview du Turcologue Louis Bazin

Cette interview a été réalisée en 1994, dans le cadre d’un reportage pour les émissions de RFI (Radio France Internationale) en langue turque.

Vous pouvez écouter l’interview (en turc).

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AJ : Monsieur Louis Bazin, vous êtes un turcologue et vous oeuvrez dans le domaine de la langue et de la culture turques depuis de longues années. Comment cet intérêt est-il né ?

Louis Bazin : Eh bien, je suis né en 1920 dans la région du Calvados, en Normandie, dans une famille d’enseignants. Les études que j’y ai faites étaient des études classiques : le français, le latin, le grec, l’allemand et la littérature classique. J’avais appris quelques rudiments sur les Ottomans et les Turcs au lycée mais rien de la langue turque. Après le lycée, en 1937, j’ai fait des études à Paris. C’était à nouveau des études classiques. C’est en 1942 que j’ai commencé à m’intéresser à la linguistique générale. A cette époque, mon professeur, M. Vendryès, doyen de la faculté et linguiste renommé, m’a dit : ” Puisque vous vous intéressez à la linguistique générale, vous devez absolument apprendre une langue différente des langues classiques européennes. Par exemple le turc, d’autant plus qu’il y a un très bon professeur de turc à l’Institut des Langues Orientales, le professeur Jean Deny. ” J’ai dit ” d’accord ! “. Le professeur Jean Deny, après avoir rédigé la grammaire la plus importante de la langue ottomane, était occupé à l’étude de la langue turque moderne de Turquie. Il m’a très bien accueilli. J’ai étudié 3 ans auprès de lui. Finalement, à la fin de la guerre, après la Libération, en avril 1945, le gouvernement français m’a envoyé à Ankara pour y perfectionner mon turc. Nous y avons passé 3 années et demi avec très grand plaisir, avec ma famille.

AJ : Pourriez-vous nous parler de votre séjour en Turquie ?

Louis Bazin : A l’époque, Ankara n’était pas une grande ville mais c’était là-bas que se trouvaient une bonne partie des plus grands linguistes, des spécialistes de la littérature et des historiens de Turquie. Par exemple, des institutions comme ‘Dil Kurumu’, la Société d’Histoire Turque, le bureau de traduction du ministère de l’Education Nationale où se trouvaient des spécialistes de renom. J’ai fait leur connaissance et ils m’ont beaucoup apporté. Je ne peux pas tous les citer mais je rencontrais souvent l’un des défenseurs du turc purifié, Nurullah Ataç, le poète Orhan Veli, l’historien Mehmet Fuat Köprülü ; ils me recevaient très amicalement. Ils m’ont beaucoup appris. Je leur suis très reconnaissant encore aujourd’hui.

AJ : Après avoir quitté la Turquie quelle était votre relation avec la langue turque ?

Louis Bazin : J’ai quitté la Turquie à l’automne 1948 et j’ai étudié encore une année à Paris. Par la suite, j’ai été nommé à un poste de professeur à l’Institut des Langues Orientales en 1949, quand mon professeur Jean Deny a pris sa retraite et j’y ai enseigné le turc pendant 40 années. En 1950, j’ai créé un séminaire à l’Ecole des Hautes Etudes, à la Sorbonne. J’y ai donné des cours sur l’histoire de la langue turque et les langues turques d’Asie centrale. Ce séminaire existe toujours. Dans le même temps, je suis devenu professeur à l’université Paris III en 1978.

AJ : Tous ces efforts que vous avez déployés en faveur de la langue turque ont été consacrés non seulement par les cours que vous assuriez à l’université, mais aussi par des ouvrages que vous avez publiés. Pourriez-vous nous parler maintenant de ces publications ?

Louis Bazin : J’ai écrit une grammaire du turc moderne pour mon enseignement, j’ai aussi traduit des ouvrages de diverses langues turques vers le français ; par exemple j’ai traduit de l’azéri les comédies de Mirza Fath-Ali Akhunzade, du kirghize une partie de l’épopée de Manas, en collaboration avec le professeur Pertev Boratav. Ces deux ouvrages ont été édités par Gallimard. J’ai rédigé environ 70 articles sur la grammaire turque. J’ai aussi travaillé sur les calendriers turcs depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, j’ai en particulier rédigé un ouvrage volumineux sur le calendrier des 12 animaux. Ce livre fait partie des publications de l’Académie de Hongrie. Il a été publié en 1992.

AJ : Où peut-on avoir des renseignements sur l’ensemble de vos publications ?

Louis Bazin : La liste de mes écrits fait partie d’un ouvrage commémoratif sur mon oeuvre publié par l’Institut Français d’Etudes Anatoliennes, il y a deux ans. On y trouve tous les renseignements.

AJ : J’aurais une dernière question à vous poser, Monsieur Bazin. Vous avez bien sûr de nombreux souvenirs inoubliables sur le turc et les Turcs. Pourriez-vous avoir l’amabilité de nous en raconter un ?

Louis Bazin : Ah, par exemple un de mes souvenirs. C’est au sujet de la purification du turc. Comme vous le savez, mon ami Nurullah Ataç était un des plus ardents défenseurs du turc moderne. C’était un de mes plus proches amis à Ankara. Un jour, je le rencontre dans la rue des ministères à Ankara. Il avait l’air de mauvaise humeur. ” Comment allez-vous M. Ataç ? “, lui dis-je. Il me répondit que ça n’allait pas du tout. Je lui demandai pourquoi. Il me répondit : ” Hier, dans mon article, j’ai utilisé un mot arabe “. Je lui dis que j’en avais compté quatre. ” Oui, je sais ” me dit-il. ” Il y en a trois qui passent mais le quatrième est inacceptable ! ” dit-il. Je lui demandai lequel c’était. ” C’est le mot Ve (et). Moi qui me suis battu contre ce mot, maintenant j’ai honte de l’avoir employé “, me dit-il. Je passai à un autre sujet après l’avoir réconforté. C’est ainsi qu’était Nurullah Ataç, mi-sérieux, mi-farceur.

AJ : Merci beaucoup, M. Bazin.

Louis Bazin : Ce fut un plaisir !

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